Correspondance - Tome II by Gustave Flaubert

Correspondance - Tome II by Gustave Flaubert

Auteur:Gustave Flaubert [Flaubert, Gustave]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Documents - Essais
Éditeur: Ebooks libres et gratuits
Publié: 2023-06-17T14:01:48+00:00


À LOUISE COLET

[Croisset,] mercredi, 1 h[eure] du matin.

[21 septembre 1853.]

Non ! « tout mon bonheur n’est pas dans mon travail et je plane peu sur les ailes de l’inspiration ». Mon travail au contraire fait mon chagrin. La littérature est un vésicatoire qui me démange. Je me gratte par là, jusqu’au sang. Cette volonté qui m’emplit n’empêche pas les découragements, ni les lassitudes. – Ah ! tu crois que je vis en brahmane, dans une absorption suprême, et humant, les yeux clos, le parfum de mes songes. – Que ne le puis-je ! – Plus que toi j’ai envie de sortir de là, de cette œuvre, j’entends. Voilà deux ans que j’y suis ! C’est long. Deux ans ! toujours avec les mêmes personnages et à patauger dans un milieu aussi fétide ! – Ce qui m’assomme, ce n’est ni le mot, ni la composition, mais mon objectif ! je n’y ai rien qui soit excitant. Quand j’aborde une situation, elle me dégoûte d’avance par sa vulgarité. – Je ne fais autre chose que de doser de la merde. – À la fin de la semaine prochaine, j’espère être au milieu de mes comices. – Ce sera ou ignoble, ou fort beau. L’envergure surtout m’en plaît. Mais ce n’est point facile à décrocher. Voilà trois fois que B[ouilhet] me fait refaire un paragraphe (lequel n’est point encore venu. Il s’agit de décrire l’effet d’un homme qui allume des lampions. – Il faut que ça fasse rire et jusqu’à présent c’est très froid). Tu vois, bonne chère Muse, que nous ne nous ménageons guère. – Et quand nous te traitons si durement pour les corrections, c’est que nous te traitons comme nous-mêmes.

Il a dû partir, hier, pour Cany, B[ouilhet]. Je ne sais si je le verrai dimanche. Dans une quinzaine, il part à Paris pour s’aller chercher un logement. Puis il reviendra pendant huit jours, et puis adieu. Cela m’attriste grandement. Voilà huit ans que j’ai l’habitude de l’avoir tous les dimanches. – Ce commerce si intime va se trouver rompu. La seule oreille humaine à qui parler ne sera plus là. – Encore quelque chose de parti, de jeté en arrière, de dévoré sans retour. –

Quand donc ferai-je comme lui ? Quand me décrocherai-je de mon rocher ? Mais j’entends mes plumes qui me disent, comme les oiseaux voyageurs à René : « Homme, la saison de ta migration n’est point encore venue… »

***

Ah ! je pense à toi souvent, va, plus souvent que je ne le voudrais. Cela m’amollit, m’attriste, me retarde.

Puisque j’ai commencé ici, et dans un système lent, il faut finir de même. – Pour une installation à Paris, et le temps que ça me demanderait avant d’y être habitué, il faudrait des mois, et en quatre ou cinq mois on fait de la besogne.

***

Tu m’as envoyé un bien bon aperçu de ton auberge, avec les rouliers courant après les filles dans les corridors : tu m’y parais être assez mal. Quand retournes-tu rue de Sèvres ?



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